Contre l'écriture épicène

Janvier 2017

Une bonne lecture à propos de Wikipédia montre de façon éclatante que l'écriture épicène est une idiotie.

Écriture lourde

Je passe cet argument.

Ce que les fautes montrent

Les fautes usuelles

Les fautes de grammaire usuelles (oubli d'accents, d'accords, ...) en général ne modifient pas le sens d'une phrase; elles rendent la phrase fausse. Le lecteur peut trouver la faute et la corriger. Autrement dit, la grammaire a une certaine résilience aux erreurs.

Faute épicène : changement embarrassant de sens

L'écriture épicène n'a pas cette résilience parce qu'un oubli modifie systématiquement le sens de la phrase, et ne laisse au lecteur aucun moyen de faire la différence entre un oubli et une volonté.

Le changement de sens qui s'opère lorsque l'auteur oubli une féminisation est systématiquement (par construction) un contre-sens par rapport à la pensée de l'auteur, et systématiquement embarrassante. Exemple facile :

« Tout le monde utilise Wikipédia en tant que consommateur, mais trop peu de personnes viennent contribuer. »
Dans le langage épicène, littéralement, cette phrase signifie soit qu'aucune femme ne lit Wikipédia, soit qu'elle contribuent toutes. À comparer avec ce que l'auteur, qui se vante assez lourdement d'utiliser ce langage, aurait dû écrire :
Tout le monde utilise Wikipédia en tant que consommateur(trice), mais trop peu de personnes viennent contribuer. »
Le sens est totalement différent. Mais le lecteur peut encore deviner que c'était un oubli.

Plus compliquée est celle-ci :

Une des nouveautés de la deuxième session du WikiMOOC est de présenter des témoignages de contributeurs pour qu'ils racontent ce qu'ils font.
Il y a trois oublis d'épicinité dans cette phrase dont deux «ils». Il est tout de même difficile de croire à un oubli. Surtout dans un texte qui se vante d'utiliser le langage épicène. Cette phrase est clairement à comprendre dans le sens ironique : l'auteur lance une pique contre le WikiMOOC qui ne donne aucun témoignage de contributrices.

Faute épicène : confirmation du sexisme

L'article que je citais en début de billet est bourré de fautes d'épinicité. Elles vont toutes dans le sens d'écrire «Les contributeurs» (oubli des contributrices) et jamais dans le sens d'écrire «les contributrices» (oubli des contributeurs). Cela prouve que le sexisme est bien dans la tête de l'auteur (et du lecteur), et non dans les mots qu'il choisit. Lorsqu'on parle des personnes qui contribuent à Wikipédia, on pense à des hommes; et on ne cite les femmes qu'en se forçant, pour la forme.

Parfois ça va dans l'autre sens. J'attends de voir quelqu'un écrire «un homme de ménage» en oubliant d'épiciniser «un homme/femme de ménage».

Et les trans-machinchose ?

On veut donner un sens marqué strict «masculin» au masculin et féminin au féminin ? Très bien. Donc si on écrit «je remercie les contributeurs et contributrices», on ne remercie en fait pas les personnes qui ne se sentent ni homme ni femme (ce qui relève de la liberté individuelle).

Je suis assez d'accord avec ceci. En tout cas sur la forme; pour le fond je ne sais pas : je ne sais pas de quoi il parle, ni pourquoi ni qui il est.

Je sais que cet argument est cherché un peu loin, mais il souligne que l'écriture épicène se fonde sur une dichotomie homme/femme forte. Il y a d'autres groupes d'activistes que ce genre de dichotomie dérange, et parfois même avec raison.

La solution

«Genre» est un terme technique en grammaire

D'abord on comprend que le mot «genre» en grammaire ne signifie pas la même chose que le mot «genre» dans la société.

Historiquement, ça ne m'intéresse pas

Pourquoi on a choisit le masculin comme neutre ? Sûrement historiquement pour des mauvaises raisons. Ce n'est pas la question. Le fait de prendre une décision pour une mauvaise raison n'est pas en soi un preuve que la décision est mauvaise.

J'écarte donc d'un revers de main toutes les argumentations comme quoi la construction française est une construction historique marquée par le sexisme des siècles passés. Tel que (il devrait être) pratiqué et compris aujourd'hui, l'utilisation du système de genres en français n'est pas sexiste.

La règle actuelle, celle qu'il faut suivre

La règle

Le masculin l'emporte
ne doit pas être enseignée de cette façon. Telle quelle, elle est même fausse. La règle est :
Lorsqu'on n'est pas capable ou que l'on ne veut pas préciser le genre, on utilise un neutre. Hors contexte, un masculin doit être interprété comme un neutre.
La seconde phrase est importante : un masculin doit être interprété comme un neutre. Si sexisme il y a, il est dans la tête du lecteur, pas de l'auteur. Mais contre le lecteurs qui ne veut comprendre ce qu'il veut, on ne peut rien.

On utilise un neutre lorsqu'on n'est pas capable de préciser. Soit parce que l'on ne sait pas («quelqu'un s'est assis sur ma chaise»; on ne sais pas qui, donc on accorde comme un neutre), soit parce qu'il y plusieurs personnes («Pierre et Marie, ils ont fait, ...»).

On utilise également le neutre lorsqu'on ne veut pas préciser. «Un témoin anonyme» s'accorde au neutre, précisément parce qu'on ne veut pas préciser.

Trois cas, deux genres

En français

Dans un discours, on a besoin d'au moins trois cas : le masculin, le féminin et le neutre. Le français dispose de deux genres. On peut tourner l'affaire dans tous les sens, il faudra sacrifier un des trois cas et dire que le cas sacrifié doit être précisé par le contexte.

La règle française actuelle sacrifie le masculin en disant qu'un masculin sans contexte doit être interprété comme un neutre. Il est masculin si le contexte le précise.

Accord selon le sens

En français, au final, on accorde toujours selon le sens. Si on sait que Pierre est homosexuel, on pourra accorder «Pierre et Marie» au féminin. C'est insultant, je ne le recommanderais pas, mais ça a un sens qui est grammaticalement correct, et qui en dit peut être long sur l'auteur.

Chez les lutins (les scouts féminins), on peut dire «elles ont fait des colliers de pâquerettes toute l'après-midi», même si les 30 lutins étaient accompagnés d'un cuistot homme. Le fait est que le groupe se comporte comme un groupe de filles, et non comme un groupe mixte (surtout si la suite de la phrase dit qu'on va faire des colliers de pâquerettes). Donc le groupe peut s'accorder au féminin.

Mais peut-être qu'elles voulaient faire une grande orgie lesbienne. Alors la présence d'un homme parmi les 30 filles a fondamentalement changé le comportement du groupe. Accorder au masculin (à interpréter ici plus finement qu'un bête neutre) permet d'insister sur ce fait.

Si une entreprise est inspectée et veut écrire «deux inspecteurs sont venus et ont remarqué que blablabla». Mettons que les deux inspecteurs étaient en fait des femmes, mais que cette circonstance n'a strictement aucune importance. On pourra écrire au masculin «deux inspecteurs blablabla». Écrire «deux inspectrices sont venues blablabla» donnerait au lecteur une clef de lecture peut-être erronée : il pourrait croire que l'auteur veuille se plaindre que les femmes sont plus pointilleuses par exemple. En accordant au masculin, on insiste sur le fait que le genre des inspecteur n'a aucune importance pour le travail qui a été fait.

En résumé, en français on accorde toujours selon le sens que l'on veut donner à la phrase. Avec obligation pour le lecteur d'interpréter un masculin comme un neutre si aucun contexte n'est donné.

En épicène

Dans le système épicinique, on choisit de sacrifier le neutre. Le masculin est masculin strict et le féminin est féminin strict. Si on veut un neutre, il faut préciser. Or, par construction, le contexte ne précise jamais qu'il faut un neutre. Donc lorsqu'on voudra faire un neutre, il faudra toujours ajouter du contexte. D'où la lourdeur de ce langage. Et surtout, la gravité des fautes dont je parlais plus haut.

Différence entre les deux neutre

En français, le neutre se forme comme au masculin («merci aux contributeurs de Wikipédia») et est un neutre strict : il ne suppose rien sur le genre des personnes dont on parle. En épicène, le neutre se forme en doublant le masculin du féminin («merci aux contributeurs et contributrices de Wikipédia»). L'usage est de mettre le masculin avant ou la terminaison féminine entre parenthèse, confirmant le sexisme dont le français est accusé. Mais surtout, le neutre de l'épicien n'est pas un neutre strict : il suppose que les personnes dont on parle sont soit des hommes soit des femmes. Il sera donc accusé de sexisme dans (ajouter un ici un nombre) années avec des arguments du type «Au vingt-et-unième siècle, on considérait que les (ajouter ici un genre autre que H/F) était négligeables et on a inventé une règle qui les exclu alors que l'usage à l'époque était d'inclure ces personnes dans les construction neutres de la forme "les contributeurs de wikipédia"».